Le petit poucet – épisode 7 : Les mots et les noms
Rédigée à plusieurs mains, par les bénévoles des pépinières de quartier, la chronique du Petit Poucet a pour objectif de continuer à échanger sur nos réflexions et nos expériences de jardinage en cette période de confinement … comme les petits cailloux semés par le Petit Poucet dans la forêt, cette chronique essaye de nous aider à parcourir le chemin du retour à la vie normale …
Les mots et les noms
Entre le 11 et le 13 mai, la tradition, très souvent vérifiée, veut que les saints dont c’est la fête, Mamert, Pancrace et Servais, nous apportent un retour temporaire au froid, avec parfois des gels s’attaquant aux fleurs des vergers.
Cette année les températures ne seront sans doute pas si basses, selon Mr Météo.
Mais c’est aussi notre sortie, toute relative, du confinement. Triste parallèle : serons-nous frileux dans nos premiers déplacements non contraints dans la ville ? ou au contraire le soleil brillera-t-il dans nos cœurs ?
Je laisse à chacun sa réponse.
Une chose est sûre, la nature nous attend, malgré les difficultés techniques à surmonter pour respecter les distances de sécurité. Je suis persuadé que les bénévoles de Pépins Production, mais aussi les membres des jardins partagés, les végétaliseurs de pieds d’arbre attendaient avec impatience cette rencontre au grand air.
LES MOTS
A l’occasion de la reprise, je m’interroge sur le rôle des bénévoles, adhérents lambda, et autres volontaires. Il me paraît essentiel et pourtant leur bagage agricole est souvent limité à des pratiques de jardinage parfois rudimentaires.
C’est mon cas, ce qui m’a conduit à suivre l’enseignement en ligne d’Agriculture Urbaine des Cols Verts dans le cadre d’un mooc. Le constat de mon ignorance est sans appel, au regard de l’avalanche de concepts, acronymes et éléments de langage que j’ai reçue de la part d’intervenants très au fait des enjeux de l’Agriculture Urbaine, chercheurs et universitaires. Les dictionnaires en ligne ne suffisent pas toujours pour décoder leurs discours.
On voit se multiplier les concepts sous un nom composé comme dans « filières eco-conçues » ou l’emploi en chaîne de mots clés comme dans « convivialité urbaine socialement inclusive ».
La novlangue selon Georges Orwell présage-t-elle, comme il le pensait, un usage abusif de la langue comme un instrument de pouvoir ? Certains pourraient l’interpréter ainsi de nos jours : si vous savez nommer, vous êtes savant et donc respecté. Le contradicteur, s’il ne pratique pas cette langue, part sans bouclier à la bataille des mots.
Cependant je ne conteste pas du tout que la création de néologismes soit nécessaire en Agriculture Urbaine comme en mathématiques lorsque les chercheurs et théoriciens cherchent à condenser en un mot des définitions complexes et nécessaires.
Mais vu du point de vue du volontaire de base, nous devons humblement faire confiance, comme pour nos amis paysans ruraux, à des médiateurs. Chez ces derniers, on trouve les syndicats, les Chambres d’Agriculture, les conseillers agricoles, qui complètent les formations de base CAP(minimum)/BTS.
Qu’en est-il de l’Agriculture Urbaine ?
Les initiateurs-trices de projets réussis d’Agriculture Urbaine ont un niveau de formation qui les rend propres à maîtriser les éléments de langage. Parmi les 18 associations présentées dans le cours en ligne des Cols Verts, tous leurs animateurs ont un diplôme bac+4 ou plus et/ou bénéficient d’une longue expérience. A ce sujet, je souhaite mentionner Frédéric Géral et l’Association « Le sens de l’humus » à Montreuil, dont le jardin est classé comme remarquable.
Certes leur niveau d’étude les a aidé dans le débroussaillage des contraintes scientifico-administratives qui pèsent plus lourdement sur l’Agriculture Urbaine que dans les campagnes. Quels que soient leurs rapports aux mots et aux concepts, je gage que c’est leur passion pour rendre la ville plus aimable et accueillante qui a attiré autour d’eux des compétences et des bonnes volontés.
Ils furent et restent l’intermédiaire indispensable entre les universitaires producteurs de savoir et les pouvoirs publics producteurs de réglementation d’une part, et ce que j’appellerai de manière méliorative les « paysans des villes », bénévoles, etc… d’autre part.
Dès lors, comment se traduisent leur savoirs/compétences en connaissances absorbables par ceux qui les assistent ?
LES NOMS
J’ai déjà parlé de la transmission du respect du vivant mais puisque le sujet du jour est le langage, je parlerai de la transmission du goût pour les noms.
Je cherchais une citation pour saisir l’importance de nommer, j’ai trouvé celle de Jacques Attali : « Comme au temps des plus anciens, nommer c’est reconnaître, c’est faire exister, c’est rendre éternel. » On peut ajouter : nommer est le premier signe de respect.
Il faut apprécier l’étiquetage chez Pépins Production ou chez les pépiniéristes consciencieux : le nom latin de la plante, qui a l’avantage d’être universel, le nom vernaculaire, plus poétique, la date et le lieu, qui ajoute un lien de filiation. J’ai un faible pour le nom vernaculaire qui me fait souvent rêver : Dame d’onze heures (Ornithogalum Umbellatum), Belle de nuit (Mirabilis Jalapa), Bourrache du Caucase (Trachystémon Orientalis), sensualité, parfums d’Orient…
Une fois qu’on a le nom, on peut alors lui adjoindre des qualités, plante de soleil ou d’ombre, besoin d’eau et de drainage, etc…
Enfin, on peut suppléer une mémoire défaillante par le recours aux bases de données intelligentes telles que Plantnet, se faire son herbier virtuel des plantes qu’on affectionne et entretenir sa mémoire pour une bonne cause.
Avec ce petit capital de savoir, on acquiert un pouvoir, celui de communiquer, avec les plantes et avec ses semblables.
Comme les micro-organismes du sol qui assurent les transferts des minéraux du sol vers le vivant, les adhérents des associations, peu visibles, assurent le lien entre l’Agriculture Urbaine et les citadins. Ils ne sont pas les seuls mais ont à cœur de transmettre la dimension savoureuse du vivre ensemble dans le langage simple des jardiniers. Et pour ceux qui se sentent des ailes, leurs projets d’Agriculture Urbaine ayant réussi, ils pourront s’enorgueillir de l’étiquette où certains voient encore un oxymore, « Paysan Urbain ».
Cultivons notre jardin