Le petit poucet – épisode 4 : Conversations au pied de mon arbre
Rédigée à plusieurs mains, par les bénévoles des pépinières de quartier, la chronique du Petit Poucet a pour objectif de continuer à échanger sur nos réflexions et nos expériences de jardinage en cette période de confinement … comme les petits cailloux semés par le Petit Poucet dans la forêt, cette chronique essaye de nous aider à parcourir le chemin du retour à la vie normale …
A Paris, vous avez sûrement croisé dans la rue ces drôles de personnages le dos courbé sur des plantes au pied d’un arbre sur la voie publique, dit « arbre d’alignement ». Non, ce n’est pas un agent de la Ville de Paris ; c’est un citadin ordinaire en manque de jardin à travailler qui a sollicité et obtenu un permis de végétalisation de pied d’arbre. C’est une sorte de droit d’usage gratuit dont les règles figurent dans une charte que le postulant approuve.
Ce fut mon cas il y a un peu plus d’un an pour 4 pieds de jeunes noisetiers de Byzance devant le 36 boulevard Voltaire dans le 11ème, pas trop loin de chez moi à défaut de ma rue où il n’y avait pas de possibilités.
Bien que néophyte en jardinage, j’avais tout de même pris soin de suivre avec application les ateliers de jardinage du jeudi après-midi de Franck, Rachel et Anne à la Maison du Jardinage à Bercy ainsi que ceux, au même endroit, concernant la végétalisation des pieds d’arbre animés par la Ville de Paris (DEVE Division des Espaces Verts et de l’Environnement), en général le samedi.
Nous les participants, jeunes et moins jeunes, hommes et femmes, partagions tous cet enthousiasme, naissant pour certains, pour le végétal. Nous prenions des notes pour faire face aux questions malicieuses de Franck et remportions des graines et boutures pour des essais, un peu erratiques, chez soi.
Au pied de « mes » arbres, j’ai fait de nombreuses autres rencontres avec des passants curieux.
Au cours de mes travaux de jardinage et après avoir été abordé de manière bienveillante un certain nombre de fois, j’ai fini par prendre goût à ces brefs échanges, non parce que j’avais besoin de distraction ou d’attention, mais pour ce qu’ils me disaient de leur rapport singulier avec la vie végétale, la vie urbaine et la vie tout court.
J’en ai retenu quelques-uns pour cette chronique (sauf pour Angélique et Daniel, les prénoms sont modifiés par discrétion).
La généreuse Angélique : ça commençait mal ; elle m’aborde fin mars « Bonjour, j’habite au 34, j’avais demandé des permis pour ces pieds d’arbre mais c’était déjà pris ». « Pas grave, on va faire équipe ». Sitôt dit, sitôt fait.
J’espérais qu’on parlerait de choix de plantes, disposition florale, enfin des trucs de bon élève sorti du cours. Pas vraiment. Je découvrais régulièrement de nouveaux plants. Patience, voyons ce qu’il en sort. Bien m’en pris, là où mes Achillées et Verveines de Buenos Aires donnaient chichement, ses Belles de Nuit (Mirabilis) éclatèrent dans les pourpres, ouverts même en plein jour. Le truc de la main verte ?
Mais Angélique est partie à New York. J’espère qu’avec le temps, j’aurai aussi la main verte.
Daniel le Magnifique : Depuis le 39 du Boulevard jusqu’à la rue Oberkampf, avec son catogan et son profil de César, Daniel règne sur ses pieds d’arbre. On y trouve toute une architecture de plantes, une profusion baroque. Sur Googlemaps, si vous vous arrêtez devant la porte cochère du 39, vous observerez, sur la droite, un magnifique pied de tabac. Rosa dont je parle plus loin l’y a planté à son insu. Daniel n’est pas jaloux, il l’a gardé.
Il m’a encouragé au début quand mes plants ont tardé à s’épanouir. En juin, il a conclu : « C’est moche ». Mais l’automne a été plus clément et Angélique avait complété. Franck m’a rassuré : un jardinier ne connait son jardin qu’au bout de 3 ans. Pour cette année, ça ne va pas être formidable. Je compte sur l’année prochaine pour réussir…mais réussir quoi au juste ? Peut-être faire plaisir aux passants ordinaires ou recueillir un « C’est chouette » de Daniel et c’est déjà bien. Pour l’instant, passants qui côtoyez « mes » pieds d’arbre lors de vos courses de 1ère nécessité, merci d’avance pour vos attentions : un peu d’eau, par exemple.
Rosa l’affranchie : Rosa est portugaise de naissance. Je ne comprends pas tout ce qu’elle dit mais elle a un regard plein de bonté. J’opine à ses propos sans toujours savoir ce à quoi je m’expose. L’automne dernier, elle m’a indiqué que les géraniums seraient très bien là et puis là et qu’elle savait où il y en avait, là-bas. « Ne t’inquiète pas, je t’en ramène ». Elle revient un peu plus tard en effet avec 4 pieds de géraniums rhizomateux. Pour marquer l’origine sur l’étiquette, je lui demandai s’ils venaient de chez elle. Je finis par comprendre qu’ils venaient du jardin du Boulevard Richard Lenoir en face du Bataclan.
Rosa me dit de ne pas m’inquiéter et je lui demande de promettre de ne pas recommencer. Mais elle a un peu (un tout petit peu) raison : ce géranium est tapissant ; le trou qu’elle a laissé sera vite comblé. Mais si tout le monde faisait ça ? Oui, assurément. Enfin ils vont bien, et ils sont toujours dans l’espace public.
Elle est libre, Rosa.
Khaled et Joao : Si j’ai bien compris, Khaled est originaire du djebel (lequel je ne sais) et Joao du Brésil.
Khaled me parle du mal du pays où il retourne rarement.
Il me demande comment je choisis les espèces. Je lui explique que je recherche en priorité des plants natifs de la Région Parisienne. Mais bon, il y a pas mal d’exceptions, dis-je un peu embarrassé par mon pseudo régionalisme : Bourrache du Caucase, Verveine de Buenos Aires, mais dis-je pour me racheter, ces espèces sont très répandues à Paris.
« Tu vois, me dit-il, les plantes, je les ramène de là-bas. Je n’ai pas de jardin mais on a des bacs devant les fenêtres. Ça me rappelle le pays de mon enfance » . Son pays, dans un bac de 50cm, avec peut-être un thym, une santoline et quoi d’autre ? J’aimerais bien savoir mais la barrière de la langue m’en empêche.
Joao a plus de chance, il a un grand pied d’arbre, un platane, rue Saint Bernard, en face du square Nordling, à 2 pas de la Pépinière Chanzy de Pépins Production. Si je me souviens bien, il y a un pied de cacao et de tabac, et d’autres. Il me raconte son histoire par bribes, entre 2 éclats de rire. Il faut que j’y retourne pour faire l’inventaire avec lui. Mais peut-être le ferez-vous avant moi.
Nostalgie quand tu nous tiens.
Tenez, pour conclure sur une note de nostalgie à propos de mon quartier, ouvrons la 1ère page du Bouvard et Pécuchet de Flaubert
« Comme il faisait une chaleur de trente-trois degrés, le boulevard Bourdon se trouvait absolument désert.
Plus bas le canal Saint-Martin, fermé par les deux écluses étalait en ligne droite son eau couleur d’encre. II y avait au milieu, un bateau plein de bois, et sur la berge deux rangs de barriques.
Au-delà du canal, entre les maisons que séparent des chantiers, le grand ciel pur se découpait en plaques d’outremer. et sous la réverbération du soleil., les façades blanches, les toits d’ardoises, les quais de granit éblouissaient. Une rumeur confuse montait de loin dans l’atmosphère tiède : et tout semblait engourdi par le désœuvrement du dimanche et la tristesse des jours d’été. »
Désert, désœuvrement, ça me dit quelque chose, que j’essaye de fuir en écrivant mais pas que…
Sauvons-nous du désœuvrement, lisons ou relisons par exemple Bouvard et Pécuchet, au moins le Chapitre 2 où nos citadins un tantinet rond-de-cuir se convertissent à l’agriculture à l’aide de manuels et de théories. Leur expérience échoue. On voudrait leur souhaiter un Franck ou un Pépins Production. La transmission du savoir-faire, à l’occasion d’un atelier ou de manifestations, comme à l’automne le Festival des Vivaces avec Pépins Productions et Thierry Denis du Jardin du Morvan. C’est efficient, et bien plus vivant.
A faire : Pour débutants et confirmés, les ateliers de la Maison du Jardinage (fermée jusqu’à déconfinement) ou encore, le catalogue de plantes de Pépins production, pour continuer à vous procurer des plantes pendant le confinement et profiter des compétences d’Amélie, Mieke et des autres.
A bientôt et restons vivants.
Charles.